In memoriam Daniel Fournier (2)


Daniel Fournier - Autoportrait


commentaire : l'ami disparu évoqué ici nous avait envoyé il y a quelques années ce bout d'un des romans qu'il n'en finissait par de finir (bout qu'il avait du reste écarté). Il y pastichait Yann Moix à l'époque où celui-ci feuilletonnait dans les pages du Figaro Littéraire. C'est très drôle.


Je lui montrai la recension de mon livre, dont je lui avais parlée la veille, parue dans le Figaro littéraire du jeudi d’avant, et qui s’appelait : A Vienne qui pourra ! car, en ce temps-là, rares étaient les articles, même sur des sujets tragiques, qui n’avaient pas dans leur titre une calembredaine. Il chaussa ses lunettes demi-lune et s’exclama :
— Ah ! le Billet de Jean Cémois !  Carrément ! J’avais supposé qu’il s’agirait d’un petit compte-rendu de rien du tout, en bas de page. Bravo ! poursuivit-il avec jovialité. La Une ! Oh ! là, là ! Je n’en ai jamais eu autant, moi !  Ça, pour un coup d’essai, c’est un coup de maître, mon jeune ami.
— Je n’en suis pas vraiment à mon coup d’essai, rappelai-je.
Il me fallut tout ce temps pour me rendre compte que sa jovialité manquait de naturel. Je n’avais pas prévu que ce menu succès lui ferait ombrage. J’aurais pu lui en vouloir de sa mesquinerie ; je n’y songeai même pas. Plus tard, je me demanderai par quelle obscure alchimie ce qui est du miel pour nous se transmute en fiel pour les autres, fussent-ils nos amis. Pour l’heure, je me reprochai seulement mon manque de tact. Et, par crainte de dire quelque chose qui le froisse davantage, je me tins coi. De son côté, il lut tout haut l’exergue : L’écrivain de second ordre qui se prend pour Balzac, c’est le sot-l’y-laisse de la critique. 
— Pas mal, pas mal ! commenta-t-il avec entrain. Je ne vois pas ce que ça veut dire mais ça sonne bien à l’oreille.
— Cependant, son visage était crispé par une douleur qu’il tâchait en vain de me dissimuler. Et, de mon côté, je lui cachais de mon mieux qu’avec son badigeon de gaieté sur son amertume je le trouvais pathétique. Rajustant ses bésicles, il lut l’article d’une seule traite en marmonnant. Le voici :

A ceux qui me traitent de pisse-froid, je dirai que j’aime beaucoup de choses en ce bas monde. Par exemple, la tequila, que je bois toujours avec du sel et du citron, dans les règles de l’art, et à la santé du Consul. Ou bien, relire la Princesse de Clèves, mais attention ! dans la traduction en suédois par Stig Dagerman, parce qu’en français c’est barbifiant et que ce bon vieux Stig n’a pas son pareil pour faire ressortir l’humour pince-sans-rire de Mme de La Fayette. Ou encore, me taper des litres d’Haagen-dazs au caramel en visionnant d’affilée trois ou quatre films de Claude Lelouch en DVD (avec les bonus !). Ou encore, me refaire pour la énième fois le musée Rodin (je donnerais tout Benvenuto Cellini et tout le Bernin pour une seule rognure d’ongle de ce bonhomme-là). Ou encore, par-dessus l’épaule de la belle fille que je suis en train de besogner a tergo dans la meilleure suite du Sheraton Imperial de Kuala Lumpur, regarder le soleil se coucher derrière les tours Petronas, un disque de Coltrane en fond sonore et une bouteille de Moët et Chandon à portée de main. Ou encore (quand je vous disais que j’étais bon vivant) dîner chez les Delerme : Mme Delerme fait la daube comme personne… ou, plus exactement, comme personne sauf son cher fils et son auguste mari : chez ces gens-là, la daube, c’est dans les gênes, et en plus ils sont gentils, pas bruyants et couche-tôt. Et puis, j’aime faire des chiasmes : Plutôt une fin effroyable qu’un effroi sans fin, c’est de Marx, d’accord ! Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger, c’est de Molière, d’accord ! Mais presque tous les autres chiasmes qui circulent dans l’Hexagone, qui est-ce qui les a faits ? Cémois !… enfin, c’est moi (j’aime aussi les à-peu-près, comme vous voyez). Et puis, quoi encore ? J’aime, en vrac, Kant, Epicure, le yaourt avec des vrais morceaux de fruits dedans, Sade, Hergé, Le Masque et la plume, Démocrite, les crêpes suzette, Campanella, le sketch du Sâr Rabindranath Duval par Pierre Dac et Francis Blanche, Kafka (en V.O.), une bonne blanquette à la Mme Maigret, les Petits Lu, Mad Max, la gematria, l’On va pleurer dans les chaumières ! de Géo Lefèbvre, le look de Michel Onfray, le poulet au chocolat amer, le chêne d’Allouville-Bellefosse… Et ce n’est pas tout. J’aime faire le distingué, au sens de la Distinction « bourdivine », si vous voyez ce que je veux dire ; je balance des sentences comme : « Chez les Haydn, celui que je préfère, c’est Michael », ou bien : « Entre Chateaubriand et Lucie Delarue-Mardrus, le vrai styliste, c’est Lucie », ou bien : « Dans l’œuvre de Flaubert, j’aime mille fois mieux La Tentation de Saint Antoine que Madame Bovary, je dis bien mille fois, pas dix, pas cent, pas cinq cents ! » ou bien : « La conversion de Claudel a été, dans l’histoire du christianisme, plus importante à elle toute seule que celles de Clovis, de Constantin, de La Harpe, d’Alfred Döblin, de Foujita et de Max Jacob réunies. »
Bref, j’aime tout ça… et mille autres choses encore — je dis bien mille, pas dix, pas cent, pas cinq cents, pas sept cent trente-sept, pas huit cent douze, pas même neuf cent quatre-vingt-dix-neuf  !
MILLE !
Et, parmi ces mille choses, il y a les écrivains de second ordre. Je les adore. Surtout quand ils se prennent pour Balzac. L'écrivain qui se prend pour Balzac, c'est le sot-l'y-laisse de la critique. Et moi, n'étant pas sot, je n'aurais garde de l'y laisser. 
En voici un, justement : Stanislas de Thou. Jusqu’ici, il ne nous avait pas donné grand-chose de rare : un conte philosophique qui sentait l’huile et quelques pastiches qui ne faisaient pas d’ombre à ceux de Paul Reboux et Charles Muller. Il nous revient du diable vauvert (pardon, lecteur, mais je suis allé tantôt aux courses à Saint-Cloud en compagnie de mon ami Christophe Donner ; ça déteint) avec un roman plein de bruit et de fureur, raconté d’une façon qui donne à penser qu’il se prend pour Balzac. Une chose, en revanche, est certaine : Stanislas de Thou est un écrivain de second ordre, ce qui n’est déjà pas si mal et, de nos jours, amplement suffisant pour mériter l’habit vert. Son roman s’appelle Vienne, 1805. Il vaut 23,50 €. Achetez-le ou ne l’achetez pas, c’est égal. Si vous avez choisi de l’acheter, ne le lisez surtout pas dans le métro, ou alors emportez votre plus gros dico. Car, pour l’inspiration, je ne dis pas, mais, pour le vocabulaire, ça lorgne plutôt du coté de Huysmans que de Florian Zeller. D’ailleurs, de Thou est le premier à avouer un certain penchant pour le cataglottisme… (Ne cherchez pas ! Selon Littré, c’est un terme de littérature ancienne qui veut dire : « Emploi de mots recherchés. » Selon Bescherelle aîné, cela signifierait aussi : « baiser lascif, » mais ceci est une autre histoire… à moins que de Thou ait justement voulu confesser un goût prononcé pour le French kiss !)

Quoi qu’il en soit, dans ce monde abandonné à l’Antéchrist, où fleurissent meurtre, stupre, viol, lésine, rapt, incendie, on ne sera jamais assez élogieux avec les pères peinards qui restent chez eux pour écrire des livres, même moyennement balzaciens, même carrément surannés.

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